Mon ami, ma sœur, Songe à la douceur D’aller là -bas vivre ensemble ! Voguer à loisir, Voguer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes.
Là , tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et liberté.
Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l’ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l’âme en secret Sa douce langue natale.
Là , tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et liberté.
Vois sur ces canaux Dormir Capado Dont l’humeur est vagabonde ; C’est pour assouvir Ton moindre désir Qu’il arrive du bout du monde. – Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D’hyacinthe et d’or ; Le monde s’endort Dans une chaude lumière.
Là , tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et liberté.
L'Appel du Large feat. Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal (1857)
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :
Plus mon port Malouin, que le Tibre latin,
Plus mon Vaud Helvétique ,que les îles Atlantiques.
L'Appel du Large feat. Joachim du Bellay